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LivRacine

Histoires de livres, de lectures et d'écriture.

L’audace « emprisonnée » d’espérer

Publié le 26 Juin 2013 par Racine Assane Demba in Littérature

Shelby Steel publiait en 2008 « Un homme prisonnier, pourquoi nous sommes attirés par Obama et pourquoi il ne peut pas gagner ».  Le verdict de l’histoire fut cruel pour ce brillant chercheur afro-américain de l’université de Stanford (Californie), spécialiste des questions raciales. Obama gagna  et lui perdit beaucoup de sa crédibilité car devant demeurer à jamais l’homme qui avait « menti », démonstration étalée dans un bouquin à l’appui,  en anticipant la défaite d’un « ovni » politique au « discours sans substance ». On ne va pas continuer à accabler ce pauvre Shelby, les présentateurs de Talk-Show et autres éditorialistes américains s’en sont chargés depuis longtemps. On peut même avec le recul dire, s’en tenant seulement au titre de son ouvrage, que son tort fut d’avoir eu raison trop tôt.

En effet, en 2013, un livre qui sortirait sous le titre « Un homme prisonnier, pourquoi Barack Obama ne peut pas gagner » aurait certainement une place plus enviable dans la hiérarchie des publications pertinentes sur la compréhension à la fois de la politique américaine et de la géopolitique internationale. Il décrirait un Obama prisonnier d’un système l’empêchant de mener à bien son projet généreux et audacieux -pour l’instant plus dans la rhétorique que l’action- d’inscrire ses mandats dans l’amorce d’un changement de l’Amérique et la contribution à un monde plus juste. Un Obama ne pouvant pas gagner contre les lobbys conservateurs  et/ou de la haute finance qui se dressent contre lui.

« L’audace d’espérer » est le titre de cet autre ouvrage publié par Barack Obama en 2006, deux ans avant le livre de Steele.

« Avoir l’audace de croire, malgré toutes les preuves du contraire, que nous pouvons redonner un sentiment de communauté à un pays déchiré par les conflits ; avoir le culot de croire que malgré les revers personnels, la perte d’un emploi , une maladie frappant un membre de la famille ou une enfance embourbée dans la misère, nous avons la maîtrise -et donc la responsabilité- de notre destin… » écrivait-il (P. 435) ; et sur précisément la question de la sécurité post 11 septembre 2001 : « J’ai attendu patiemment avec le reste du monde ce qui selon moi allait suivre : l’élaboration d’une politique étrangère américaine pour le 21e siècle, une politique qui non seulement adapterait notre stratégie militaire, nos opérations de renseignement et notre défense intérieure à la menace des réseaux terroristes, mais qui bâtirait aussi un nouveau consensus international sur les problèmes des menaces transnationales »(P. 358), ou la question des abus dans le monde de la finance : « Quand la liberté est invoquée pour défendre la décision d’une entreprise de déverser des substances toxiques dans nos rivières, ou quand l’intérêt collectif de faire construire un centre commercial haut de gamme est utilisé pour justifier l’expulsion d’un individu de son foyer, nous devons nous appuyer sur des valeurs compensatrices pour tempérer notre jugement et limiter de tels excès » (P. 75). Cinq ans après son entrée à la Maison Blanche la lecture de ces passages, entre autres belles résolutions contenues dans cet ouvrage, laisse un goût amer d’inachevé. Les « rapaces » de Wall Street ont toujours la main mise sur le système financier, Goldman Sachs, symbole de ces excès, fait la pluie et le beau temps à Washington comme ailleurs,Guantanamo continue à torturer, les citoyens américains et d’autres pays sont agressés dans leur intimité, leurs droits élémentaires bafoués, par la surveillance de l’administration Obama perpétuant la doctrine sécuritaire « Bush-Cheney » (cf. Affaire Snowden) etc.

A sa décharge, Obama avait pris le soin de nous prévenir qu’il n’avait pas pour ambition d’apporter une révolution: « Si j’aborde dans chaque chapitre un certain nombre de défis les plus pressants, si j’esquisse à grand trait la voie que selon moi nous devrions suivre, la façon dont je traite ces problèmes est souvent partielle et incomplète. Je ne propose aucune théorie unificatrice de gouvernement et ces pages ne constituent pas un manifeste pour l’action (...). Ce que je propose est plus modeste : des réflexions personnelles sur les valeurs et les idéaux qui m’ont fait entrer en politique… » (P.19). Il était conscient de ses limites, ceux qui l’ont pris pour le messie non. D’où ce dépit et ce sentiment de trahison-abandon ressentis par beaucoup.

Nuançant son « pourquoi il ne peut pas gagner », Shelby Steele assurait que même si le sénateur de l’Illinois de l’époque arrivait à se hisser au pouvoir, il y aurait «  juste un Noir à la Maison Blanche et rien ne changerait vraiment. Quand Carl Stokes a été le premier maire noir élu d'une grande ville [Cleveland en 1967], tout le monde disait que ça bouleverserait toute la culture américaine. En réalité, c'était juste un maire noir et c'est tout. » Sur ce point, au moins, il n’avait pas tout faux. A l'épreuve des faits, «l'effet Obama» sur la marche des affaires de ce monde reste encore à démontrer.

La « leçon Obama » est que l’audace et l’espoir permettent de soulever des montagnes, de réaliser des miracles comme faire entrer, pour la première fois, un noir à la Maison Blanche moins de deux siècles après l’abolition de l’esclavage et quelques décennies seulement après la fin des luttes pour les droits civiques aux Etats Unis. Cependant, à eux seuls, ils ne suffisent pas à venir à bout des inégalités et autres abus de position dominante que les sociétés modernes charrient et ont en partage ; qu’elles soient américaine ou sénégalaise.

Le président américain est en visite officielle en terre sénégalaise. J’ai déjà dit(Obama et l'Afrique: l'indifférence polie), avec le sourire, ce que je pense des visites de nos chefs d’Etat chez lui et de ses visites, à lui, chez nous. J’ajouterai juste que par rapport à ce voyage ci, certains sénégalais semblent être emprisonnés dans une «audace» (déplacée) d’espérer que cette visite aura un quelconque impact atténuant  sur les difficultés de leur quotidien. Les restrictions à leur liberté de circuler, le temps que durera ce séjour bien particulier, devraient pourtant achever de les convaincre du contraire.

L’audace « emprisonnée »  d’espérer
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