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LivRacine

Histoires de livres, de lectures et d'écriture.

Ethiopiques: petit passage en revue...

Publié le 4 Août 2014 par Racine Assane Demba in Littérature

La revue panafricaine, créée par Léopold Sédar Senghor, a reçu, le 16 juillet, le Prix Cassiopée du Cénacle européen des arts, de littérature et de poésie récompensant, chaque année, une revue internationale de langue française.

Fondée en 1975 par le président-poète, Ethiopiques s’est d’abord définie comme : une « revue socialiste de culture négro-africaine ». L’idée de partage et de solidarité qui sous-tend les valeurs de la gauche devait, en effet, aux yeux du père de la nation sénégalaise, être portée par la culture. Si la politique, l’idéal socialiste de justice sociale notamment, devait conduire le destin des peuples d’Afrique, la culture allait leur éclairer le chemin vers un développement harmonieux et assouvir leur quête identitaire. Dans l’éditorial qu’il signait pour le premier numéro, Senghor écrivait ceci :  Ethiopiques se veut donc une revue politique et une revue culturelle en même temps, une revue socialiste  et une revue de culture négro-africaine. Cette juxtaposition d’une option idéologique et d’une réalité culturelle vient, à son heure, combler une lacune ». Toutefois cette approche socialiste parut de plus en plus étriquée  face au dessein senghorien de faire de la revue un espace panafricaniste de référence, lieu d’un débat intellectuel où le « culturel » prend le pas sur le « militant ». Il fallait un discours qui, tout en restant militant, part d’un regard artistique, promouvant une pensée africaine puissante quelle que soit l’appartenance idéologique des auteurs.  Le sous-titre devint alors : « Revue négro-africaine de culture et de philosophie ». Un espace négro africain donc, mettant en avant une pensée philosophique nègre, longtemps niée, dont la vocation était non pas de s’arrêter aux spécificités culturelles du continent mais de dire la chose suivante : nous sommes en bonne place à ce banquet de l’universel qui contient un peu du rayonnement de chaque aire culturelle du monde, au rendez-vous du donner et du recevoir nous nous réapproprions notre histoire et en tirons ce que nous avons de meilleur à offrir au monde et qui, certes sous une forme différente, trouve écho ailleurs. Car, dans l’histoire de l’humanité, l’apport des uns s’imbrique à celui des autres pour faire ce tout que nous avons en partage. Au-delà de toutes considérations, ce tout fait des hommes des êtres capables, dans la différence, de s’unir en toute fraternité. « Il est question d’adapter le Socialisme aux particularités concrètes et actuelles de nos pays, ne serait-ce qu’en ce qui concerne la lutte des classes et l’art » insistait encore Senghor. Une posture pragmatique et de rassembleur le poussera,  finalement, à se départir du mot (et non de l’idée socialiste) afin de ne pas exclure de son initiative tous les talents qui considéraient le socialisme comme une doctrine importée et ne voulaient pas s’associer à une publication ainsi cataloguée.

 

Variété des sujets, regard éclectique, rapprochement des cultures

Le nom Ethiopiques renvoie au titre du recueil de poèmes que Senghor publie en 1956. Cet intitulé étant lui-même inspiré de celui du roman de l’auteur grec de l’Antiquité Héliodore d’Emèse dont l’héroïne est une princesse éthiopienne.

Dans son éditorial inaugural toujours, l’auteur de « Chants d’ombre » expliquait le sens d’une telle parution par ces mots : «A ceux, Grands-Blancs et intellectuels nègres récupérés, qui nous demandent de dépasser la Négritude , c’est-à-dire, au sens du dictionnaire Robert, l’ensemble des caractères, des manières de penser, de sentir propres à la race noire, nous répondrons qu’un zèbre ne peut se défaire de ses zébrures sans cesser d’exister en tant que zèbre. Nous n’avons pas le goût du suicide collectif. Ni individuel ». L’idée était ainsi de  partir d’un aspect de la « civilisation de l’universel » qu’est la « civilisation noire » pour bâtir une « civilisation panhumaine ».

Réagissant à cette distinction, le professeur de Lettres Bassirou Dieng, actuel directeur de la rédaction de la revue, a remis au goût du jour « l’esprit senghorien » dans lequel, assure-t-il, lui et son équipe ont travaillé « ces  dix dernières années, un esprit d’enracinement et d’ouverture ». « Il y avait, depuis quelques années, des signes avec l’intérêt que la revue a suscité auprès d’universités et de divers groupes de recherche à travers le monde. Ce prix nous renforce dans nos convictions et orientations. Et il nous encourage à continuer » a-t-il dit.

Selon les initiateurs du Prix Cassiopée, Ethiopiques a été récompensée pour « la variété des sujets et thèmes qu’elle aborde, son regard éclectique et très large, son ouverture, sa volonté, plus large que celle des autres, de rapprochement des cultures ». En somme pour être restée fidèle à l’idée originelle de son fondateur dont l’influence encore très grande en France n’est pas étrangère à ce choix. « Il est très présent dans la culture française. Il fait figure de référence dans la nécessité de rapprochement des cultures. Nous travaillons à perpétuer sa pensée et son discours, à pérenniser son œuvre » a témoigné le conseiller littéraire au Cénacle, Michel Bénard qui précise que la revue panafricaine éditée au Sénégal a été primée devant la revue belge « Traversées » et la française « Poésie première ».

Les thèmes récurrents abordés par la revue vont de la quête identitaire à la quête de l’universalité, de l’attachement à un patrimoine traditionnel à l’ouverture à la modernité, du matérialisme dialectique à la spiritualité nègre en pensant par la renaissance africaine si chère à Senghor.

 

Article paru dans Intelligences Magazine N° 48

 

 

Ethiopiques: petit passage en revue...
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