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LivRacine

Histoires de livres, de lectures et d'écriture.

Après Nelson Mandela est mort…

Publié le 6 Décembre 2013 par Racine Assane Demba in Hommage

Nelson Mandela 1918 - 2013/ Bio: Un long chemin vers la liberté

 

Ce jeudi 5 décembre 2013 était parti pour être un jour comme un autre ; le traintrain habituel entre les petits tracas domestiques, les dizaines de chefs d’Etats africains faisant un énième acte d’allégeance à l’ancien colonisateur français, et la résolution de l’ONU permettant à cette même France « d’intervenir » en Centrafrique. Bref rien de bien passionnant, juste les petits soucis, somme toute légers, d’un quotidien ronronnant, un peu alourdi, il est vrai, par une nouvelle preuve qu’avec cette race de dirigeants vassaux l’Afrique a encore du chemin à faire. Puis, pour agrémenter le tout, quelques petits meurtres entre voisins au centre du continent afin de permettre à M. Hollande de mettre ses beaux habits de sauveur en ces temps de sondages dévastateurs. Que voulez-vous ? Nul n’est prophète chez soi.

Dans la soirée la nouvelle est tombée. J’allais dire la terrible nouvelle mais n’exagérons rien, on s’y attendait un peu n’est-ce-pas ? La surprise vient même plus du fait que l’annonce de Jacob Zuma soit si douloureuse tant on était préparé à cela depuis un  bon moment.

Ma première réaction a été de remercier  le ciel. Pas pour l’extinction de la lumière mais pour avoir éclairé le Président sud-africain dans sa décision de ne pas accompagner ses pairs à la farce parisienne sus évoquée. Le voir annoncer cette mort dans le hall d’un anonyme hôtel parisien aurait été, ne serait-ce que dans la symbolique, un coup plus dur à encaisser que la disparition elle-même.

Le monsieur est parti comme il a vécu : élégant, généreux, bienveillant. Il a attendu que l’on se fasse bien à l’idée de son départ, qu’on n’ait plus peur de l’inconnu, d’une vie sans sa présence réconfortante, apaisante. Ce ne fut pas un choc mais une piqûre, lancinante,  presque irréelle. Le mal qu’on ressent n’est pas physique, il est dans cette impression de vide tout d’un coup, comme si rien n’avait plus d’importance, les choses manquant soudain d’épaisseur. On se sent petit et tout devient insignifiant jusqu’aux témoignages les plus touchants car ils ne semblent pas prendre la pleine mesure de l’homme, ils ne figent pas assez l’instant.

Pourquoi veut-on faire de ce guerrier une affiche publicitaire sans saveur ? Pourquoi ne dit-on pas, ou pas assez qu’avant d’être un vieux sage, il a été un révolté ? Que devant l’humiliation, il a pris les armes, qu’avec les autres, il a entonné le fameux : « apportez moi ma machette », qu’il a d’abord dit à l’ennemi : pour un œil les deux yeux et pour une dent toute la gueule et après seulement, quand il a été en mesure de passer à l’acte parce que dans la position du vainqueur, il a pardonné malgré ou à cause justement de toutes les années de privations endurées.

Il est peut être important de remettre ainsi les choses à l’endroit. Il y a eu un moment dans toute cette histoire où les opprimés ne pouvaient pas se payer le luxe de la non-violence. Ne pas le rappeler, c’est ignorer l’une des principales leçons que cet homme nous a enseignée : seule la lutte libère - pas les discours sur l’inaction qui vaudrait aussi action mais la lutte, la vraie - et une fois cette libération acquise, seuls le pardon et la réconciliation permettent de grandir.

Que ne nous reste pas cette seule image d’un vieillard fatigué entouré d’un clan qui n’a pas eu la décence d’attendre qu’il tourne le dos pour s’écharper sur son legs. Rappelons-nous - avant les 27 années de captivité et les derniers pas vers la liberté et la consécration politique - du petit garçon répondant au doux prénom prémonitoire de Rolihlahla (fauteur de troubles en xhosa), du jeune homme qui s’enfuie parce que sa famille le prédestine à un mariage arrangé, de cette force de la nature amateur de boxe et ami des femmes qu’il deviendra, du passionné qui révolutionne l’ANC en s’emparant avec quelques amis de la branche jeunesse du parti, de l’accusé qui après avoir pris connaissance du verdict qui le condamne à vie déclare ceci à ses juges : « J'ai lutté contre la domination blanche et j'ai lutté contre la domination noire. Mon idéal le plus cher a été celui d'une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient en harmonie avec des chances égales. J'espère vivre assez longtemps pour l'atteindre. Mais si cela est nécessaire, c'est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir ».

Nelson Mandela a vécu tout cela et bien plus encore. Après, alors que nous regardions ailleurs, il est parti sur la pointe des pieds en nous laissant de quoi nous consoler du spectacle affligeant de nos « hommes forts » assis sagement, en rang serré, à écouter le maitre de l’Elysée leur expliquer la marche à suivre.

Après Nelson Mandela est mort…
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