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LivRacine

Histoires de livres, de lectures et d'écriture.

Souvenirs d'Istanbul

Publié le 8 Août 2022 par Racine Assane Demba

Souvenirs d'Istanbul

Il y a des lectures prémonitoires ; des fictions qui racontent une histoire à laquelle la réalité vient faire écho. C’est dans un roman que j’ai voyagé, pour la première fois, en Turquie. Avant de mettre les pieds au pays de Mustafa Kemal Ataturk, j’avais lu, il y a longtemps, l’un des récits majeur de l’immense Orhan Pamuk (Prix Nobel de Littérature 2006).

Il y dresse un tableau de la société turque d’une grande complexité, sur fond de quête identitaire. Il décrit le malaise latent de femmes et d’hommes tiraillés entre deux cultures – celle occidentale et celle nourrit par l’héritage d’une civilisation islamique – et sommés de choisir leur camp. On rencontre, au fil d’un récit poétique, des filles qui se donnent la mort parce qu’empêchées de vivre leur foi, des policiers qui tirent sur des hommes dans le dessein de tuer leurs idées, un poète-journaliste si angoissé par le devenir de son peuple qu’il en arrive à prédire les évènements les plus tragiques…

Neige

Ce roman s’appelle Neige (Kar en version originale), les flocons y ont une signification philosophique. « La neige, dit l’auteur, faisait comprendre que, malgré toutes les haines, les hommes en réalité se ressemblaient et que dans un univers et un temps si vastes, le monde des hommes était bien étriqué. C'est pourquoi quand il neige, les hommes se serrent les uns contre les autres. Comme si la neige, tombant sur les haines, les ambitions et les fureurs, rapprochait les hommes les uns des autres. » Et « une fois par vie, il neige dans nos rêves ».

Quand je suis arrivé à Istanbul, dans un voyage réel cette fois, il neigeait. La ville gigantesque, couverte de ses habits de glace, m’a paru bien mystérieuse ; les stambouliotes m’ont semblé réservés, pudiques presque austères comme s’ils gardaient un secret destiné à ne jamais être partagé avec l’étranger. Le secret ? peut-être, de ce qui permet à un peuple de se développer, de s’ouvrir au monde tout en étant enraciné, ancré dans ses valeurs malgré quelques contradictions inhérentes à la condition humaine.  Ce sentiment de devoir s’arrêter à la surface des regards parfois scrutateurs et des sourires souvent figés est exacerbé par l’épaisse couche blanche cachant le sommet des dômes et des minarets, l’asphalte des rues élégantes ou pauvres ainsi que  les visages des maisons et des chefs-d’œuvre architecturaux hérités de l’empire ottoman.

 L’omniprésence de cette neige qui m’accueillait tout en me désorientant, m’éblouissait tout en me privant du fond des choses – et peut-être, aussi, du fond des êtres - est tout ce que j’ai pu confirmer du roman de Pamuk. 

Mon séjour a duré le temps d’un battement de cils entre lesquels une observation de la réalité des contradictions que renfermeraient ce grand pays n’a pas été possible. Je n’ai pas pu me rendre compte des subtilités de cette terre tiraillée entre deux modèles que suggère Orhan Pamuk sans les figer dans des certitudes. Je n’ai pu vérifier, au grand dam de ma fibre journalistique et malgré toute ma curiosité, les contradictions voire la fracture révélée par les violentes manifestations contre le Président Erdogan.  Ce dernier désapprouverait ses compatriotes ayant opté pour un mode de vie à l’occidental. Il crée, de ce fait, une division sur des questions telles que la famille ou le statut de la femme. A l’époque de ces contestations, il avait réussi à réunir contre lui les « laïcs », les minorités  (kurdes, alévis), les partis de gauche, les kémalistes. Il s’était aussi mis à dos l'armée, ancien bastion laïc et kémaliste, affaiblie par sa guerre perdue contre l’AKP, le parti au pouvoir, avec beaucoup parmi ses figures emblématiques arrêtées et trainées devant les tribunaux. Le modèle proposé par Erdogan a été et continue cependant à être considéré comme l’incarnation d’un Islam modéré.

Le Prix Nobel pose la contradiction dans les termes suivants : « Qui sommes-nous ? Voulons-nous être Européens ? Ou venons-nous d'Asie ? Sommes-nous musulmans ? C'est quoi être Turc ? » Puis il donne sa vision de ce que doit être son pays : «  Je refuse qu'on impose à un individu ou à une société une identité homogène, basée sur une seule source. Je suis contre toute forme de fondamentalisme. (…) Je préfère ce qui vient de sources diverses. Dans mes livres, je défends l'idée que tout cela peut se côtoyer sans conflit. »

Aussi, pour toucher du doigt quelques traits du roman national turc, il m’a fallu, faute de temps et d’espace de recherche, renoncer à pister Orhan Pamuk pour suivre le conseil de Birago Diop : j’ai plus écouté les choses que les êtres.

Istanbul

Visiter Istanbul sous la neige donne alors à la présence de ses monuments et bâtisses historiques, parfois millénaires, fièrement établis au milieu de ce décor envahi par la modernité,  un aspect encore plus surréaliste. Si la plus grande ville de Turquie est l’archétype de la ville moderne du 21e siècle, avec ses 14 millions d’habitants et son activité qui jamais ne s’arrête, la mégalopole rappelle surtout, par ses aspects les plus séduisants, le rayonnement de l’Empire Ottoman. Les turcs ont conscience qu’à un moment donné de l’histoire, ils ont dominé le monde. Ils sont fiers de montrer les vestiges de cette toute puissance ; cette fierté les amène à exiger un droit de regard, une présence sur la conduite des affaires internationales actuelles. La visite de quelques lieux symboliques permet de se rendre compte de la grandeur de la civilisation dont ce peuple est dépositaire même lorsque les flocons y déposent une épaisse couche de mystère.

Voir Fatih, le vieux quartier historique, vaut de se faire malmener par un froid dont la rudesse est étrangère à un sahélien bon teint. En empruntant la rue Horhor, l’on peut contempler ce qui reste de la Corne d’Or. C’est là que les grecs ont entamé l’édification de Byzance. Cette présence de la culture hellénique avec le palais byzantin de Porphyrogénète, le Patriarcat avec l'Église de Saint - Georges dans le quartier de Fener, la colonne romaine de Marcien, les églises Cami Fethiye, Kariye Camii, Gül Camii et Fenari Isa Camisi (un complexe de deux grandes églises byzantines), vient rappeler le brassage culturel dont a hérité cette terre et dont la préservation est au centre des divisions d’aujourd’hui.

Le guide vous promènera  aussi entre la mosquée Fatih et la célèbre mosquée Sultanahmet ou mosquée bleue, appelée ainsi à cause des céramiques de couleur bleue qui en ornent l’intérieur, achevée en 1616. Ce haut lieu de culte musulman donne à contempler le dernier chef-d’œuvre de l’architecture ottomane.

Une découverte d’Istanbul ne saurait être complète sans une immersion dans l’univers du football. Les stades des clubs rivaux de Fenerbahce, Besiktas et Galatasaray sont présentés comme des lieux de pèlerinage. Les turcs, ou la plupart de ceux que j’ai croisés sur ma route, peuvent, de prime abord, paraitre obséquieux. Pour briser la glace, parlez-leur de football. Souvent vous n’aurez même pas besoin d’aborder le sujet en premier. Ils vous conduiront sur ce terrain. Pour eux, en effet, Sénégalais rime d’abord avec Demba Ba, Moussa Sow …"

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