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LivRacine

Histoires de livres, de lectures et d'écriture.

Bamako

Publié le 20 Novembre 2013 par Racine Assane Demba in Littérature

 

« Je ne ramènerai rien de Bamako » …découvrant le titre du roman du journaliste belge Didier Gilles, je suis resté interdit. Parce que Bamako est le dernier lieu que l’on quitterait le cœur vide, parce qu’il me semble ne l’avoir quitté qu’hier ou la veille, parce que  s’éloignant d’elle, l’on l’amène avec soi tant on ressent sa présence invisible. Je me souviens d’avoir avidement saisi l’instant de cette belle journée où je marchai sur les bords du fleuve Niger, celui de cette folle nuit où je dansai le takamba, celui de cette soirée d’adieu où je faisais des confessions, recueillais des confidences et m’en allai à contrecœur.

S’il y a un livre auquel je me suis d’abord intéressé seulement à cause du titre, c’est donc bien celui-là. J’étais curieux de découvrir comment on pouvait ne « rien ramener de Bamako ». Se pouvait-il que l’on puisse être si imperméable à ses pluies qui sèment les graines de l’espoir, hermétique à ses odeurs qui rappellent encore, à certains endroits, l’authenticité perdue, insensible à sa chaleur à couper le souffle par la force de son étreinte. Heureusement ces six mots de départ n’étaient qu’une accroche. Ce livre ne raconte pas une perte, il se fait chronique  d’un enrichissement, lorsqu’il parle de vacuité c’est pour mieux exposer la plénitude procurée par la rencontre du personnage principal avec cette ville. Didier Gilles met en scène un jeune Bruxellois qui, par un malheureux concours de circonstance, est contraint à voyager entre Oran et la capitale malienne comme ceux qui parmi la masse déshéritée des migrants sur le retour, font figure de prolétaires ; ceux qui sont au plus bas de l’échelle. Avec deux maliens rencontrés fortuitement, le jeune homme de vingt ans voyage dans des camions de fortune, touche du doigt le désœuvrement des contrées qu’il traverse, la famine qui frappe certaines populations qui se meurent en silence. Pendant un moment on a envie de ranger l’Afrique qu’il décrit au rayon des vieux clichés sur le continent. Mais cela ne dure qu’un instant très court. Il sera sauvé par l’absence de prétention du récit et ce travail de journaliste, d’enquêteur qui pourra transparaitre au fil des pages. A Bamako, son personnage est très vite adopté par la mère de l’un de ses compagnons d’infortune car là-bas l’ami du fils est un fils. Il découvre un sens de la famille, de la communauté qui lui était jusqu’alors étranger. Il tombe amoureux de toutes ces petites spécificités qui agrémentent le quotidien de sa nouvelle famille. Revenu à Bruxelles, il semble en effet n’avoir rien ramené. Il garde le silence sur cette expérience qui a changé son rapport à la vie pendant dix-sept longues années. Dix-sept ans passés à être rongé par un manque, à refouler les souvenirs qui affluent à la surface comme si les laisser remonter signifierait les perdre.

Puis, le temps du retour aux sources. A ce moment du texte le titre ressurgit car revenir c’est rester ou confier à cette terre ce qu’il a de plus cher et donc ne rien ramener, au sens d’y avoir abandonné l’essentiel, en cas de nouveau départ.

Je ne sais pas si je dirai un jour que je ne ramènerai rien de Bamako, je ne sais pas si j’y retournerai un jour pour rester ou y laisser mon âme en partant.

Ce dont je suis sûr, c’est ce dont je me souviens et tout ce que j’ai inventé, tout ce que j’ai rêvé avec ce souvenir. Ce dont je me souviens c’est ce qui m’est resté du geste de l’ami, ce qui m’est resté du sourire de l’amie, mais aussi toutes les faces de l’imprévu, toute la musique du paysage, cette réalité autre qui s’offrait à moi. Cette réalité que par certains endroits, à certains instants, une voix ou un regard transformaient en rêve. Cette réalité qui en elle-même n’était pas si nouvelle. Elle était en fait très peu différente de celle que j’avais laissée là d’où je venais mais elle me poussait à voir avec des yeux nouveaux modifiant ainsi mon rapport avec la notion même d’altérité.

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Bamako
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