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LivRacine

Histoires de livres, de lectures et d'écriture.

Vol d’enfance

Publié le 23 Mai 2018 par Racine Assane Demba

Vol d’enfance

Ce texte  fait partie de la performance artistique « Sandaga Circus » de l’artiste Madiaw Ndiaye dans le cadre du « IN » de la Biennale de Dakar. Une performance artistique donnant la voix aux enfants et adolescents invisibles qui peuplent nos marchés. Talibés, fugueurs, issus de familles pauvres, ou juste abandonnés…

L’enfance devrait être une douce chanson qui s’échappe du tumulte de la vie. Dans le malheur, elle devrait annoncer des lendemains désirables. L'enfance devrait être un lieu d'enchantement total mais elle n’est qu’une oasis dans ce désert aride de sentiments bienveillants à son égard. Elle se retrouve propulsée sur la scène du théâtre d'un déferlement de violence: le monde. 

 

Un monde d'adultes où des enfants, des millions d'enfants, sont oubliés par l'humain qui chante faux son humanité. Millions de petites âmes qui souffrent. Abandonnées à elles mêmes dans des rues devenues des lieux de privation de liberté et d'amour. Car l'homme et la femme qui les y côtoient ne les voient. Insensibles au vol d'enfance qui s'opère sous leurs yeux, indifférents à la misère de mômes à peine nés et condamnés à la survie avant d'avoir fait un pas en direction d'une lueur d'espoir.

 

C'est donc ici que l'instinct de mort a vaincu l'instinct de protection, que la désertion des responsabilités s'est substituée au don de soi en faveur des plus faibles, que la misère a chassé l'espérance, que la cupidité piétine l'innocence. C’est ici que l'infanticide est fils du couple formé par le déni et le cynisme, ici que des yeux d'enfants mettent en accusation des adultes aveuglés par les préoccupations du vivre effervescent au point de délaisser la protection de la vie elle même. 

 

Nous devions éduquer, nous avons abandonné. Nous devions nourrir, nous avons affamé. Nous devions soigner, nous avons blessé. Nous devions protéger, nous avons tué. Et tout cela sans le moindre remord, sans une once de culpabilité. 

 

L'enfant mendiant qui périt sous les coups de son maître enivré par l'odeur du sang est un sujet de discussion éphémère. L'enfant torturé qui fugue pour échapper à son bourreau et qui est kidnappé par un autre bourreau prédateur sexuel est une lointaine curiosité. L'enfant qu'on assassine et découpe en morceaux provoque un effroi et une indignation collectives aussi légitimes que volatiles. L'enfant qui grandit entouré de bourreaux et qui, pour échapper à la réalité de cette prison à ciel ouvert, se nourrit de produits stupéfiants, se shoote, se pique, se suicide à petites doses, se consume à petit feu, est un élément du décor urbain duquel on détourne nos regards vides.

 

L'enfant crie et les adultes, comme si ses hurlements étaient sonorités agréables, dansent. L'enfant pris au piège de la folie d'un monde, est victime de l'indifférence des hommes.

L'enfance douce derrière les portes closes des maisons est le moteur de la bonne conscience face à l'enfance insupportable ayant élu domicile au dehors. 

Le royaume d'enfance n'est plus qu'illusion après les razzias des armées des grandes personnes sur le fragile tissu social. 

Ainsi, ne prenant pas soin suffisamment de nos enfants, nous n'avons aucun avenir.

Ces êtres, ces polissons, qui devaient vivre la transgression, la désobéissance rieuse qu'autorisent leur âge et parfois les réprimandes bienveillantes qui vont avec, sont poussés à porter le poids de la résistance face à une société qui en réduit certains à l'esclavage et d'autres à l'invisibilité.

 

En les sortant trop tôt de l'insouciance de l'enfance, elle les oppresse et les prive de l'âge d'or de la vie, le seul moment où le bonheur est permis à l'état pur. Elle les prive des utopies mères des jours heureux. Cette société anthropophage agresse et détruit le vivant à la racine.

 

 

 

 

 

 

 

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