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LivRacine

Histoires de livres, de lectures et d'écriture.

Les femmes dans la lutte contre l’Apartheid

Publié le 31 Mai 2016 par Racine Assane Demba

Les femmes dans la lutte contre l’Apartheid

Hommage à Albertina Sisulu, Ruth First, Lorna De Smidt, Helen Suzman, Winnie Mandela, Maria Mabunda

L’Apartheid a été un système de développement dit « séparé » adopté, en Afrique du Sud, par un pouvoir politique alors sous le contrôle exclusif de la communauté blanche du pays. Institutionnalisé en 1948 et ayant eu cours jusqu’en 1991, il classait la population par zones géographiques selon des critères basés sur la race ou l’ethnie. Les noirs, les asiatiques et les métis étaient ainsi considérés, à des échelles différentes, comme des êtres inférieurs par la minorité blanche. Durant ces quarante trois années de politique ségrégationniste, les populations opprimées ont mené une lutte de libération acharnée dont Nelson Mandela fut la figure emblématique. Toutefois, aux côtés d’autres icônes masculines de la résistance, des femmes sud-africaines ont été à la pointe du combat.

La marche de Pretoria

Le 9 août 1956, huit ans après l’institutionnalisation d’une réalité pendant longtemps entretenue par le pouvoir des Boers mais non formalisée, vingt mille femmes, noires dans leur écrasante majorité, envahissaient les rues de Pretoria pour dire non à l’asservissement. Avec à leur tête Albertina Sisulu, épouse de Walter Sisulu, secrétaire général de l’African National Congress (ANC), elles manifestaient contre l’obligation faite, depuis peu, aux noirs de porter un laissez-passer pour aller et venir à l’intérieur de leur propre pays. Cette entrave à la liberté de circulation constituait une énième atteinte, de la part du gouvernement ségrégationniste, à la liberté.

Alors que les hommes engagés dans la lutte étaient traqués, jetés en prison, parfois assassinés, ces femmes sortaient de leur réserve naturelle face à cette goutte de cynisme supplémentaire qui avait fait déborder le vase de leur indignation. Leurs slogans sonnaient comme autant d’hymnes à la dignité, de pamphlets à l’encontre de ce nouvel ordre mondial d’après guerre qui détournait les yeux devant une horreur n’ayant rien à envier au nazisme mais aussi de requiem pour un système qui, tout à ses prétentions de toute puissance, en oubliait la fragilité des fondations iniques sur lesquelles il avait été érigé. En effet, cette marche sera par la suite qualifiée d’historique car elle constituait un acte fondateur de défiance, symbolique de refus, un tournant dans cette longue confrontation asymétrique qui ferait tomber le régime de l’Apartheid trente-cinq ans plus tard.

Depuis 1994, année de l’élection de Nelson Mandela à la tête de l’Afrique du Sud, la journée des femmes est célébrée, dans le pays, le 9 août de chaque année. Evoquant le souvenir de cette manifestation restée dans les annales lors de la commémoration de 2013, la vieille militante de l’ANC, Maria Mabunda, affirmait sur les ondes de Radio France Internationale que les femmes avaient rejoint la lutte d’abord pour suivre leurs maris avant de commencer, très vite, à faire valoir leurs propres revendications. « Nous, les femmes, racontait-elle, n’avions aucun droit. C’est à ce moment-là qu’on a commencé à se battre pour ça aussi. On devait être nous aussi reconnues ». Pour la libération et cette reconnaissance, elles continueront à se battre jusqu’à ce que la majorité opprimée obtienne gain de cause. A côté d’Albertina Sisulu, il y a eu toute une armée d’héroïnes de l’ombre mais parmi les femmes qui ont dit non, on peut citer la journaliste communiste, membre de l’ANC, Ruth First, l’activiste Lorna De Smidt, la députée Helen Suzman entre autres.

Winnie, l’égérie de la lutte

Dans les rues de Pretoria, en cette journée vendredi 9 août 1956, une belle jeune femme âgée d’une vingtaine d’années, pleine de détermination, marchait au premier rang des manifestantes. Winnie Madikizela avait déjà en elle le feu de la révolte ainsi que de grandes qualités de meneuse de femmes et d’hommes. L’année suivante, elle épouse Nelson Mandela qui est alors l’un des leaders les plus influents de l’African National Congress. En 1962, Mandela qui avait fondé, un an plus tôt, Umkhoto We Sizwe, la branche militaire clandestine de l’ANC, est arrêté. Il restera en prison pendant les vingt-sept années suivantes.

Winnie Mandela va alors porter le combat de son mari. Au fur et à mesure que les années passent ses positions sur l’attitude à adopter face à l’oppresseur vont se durcir. Elle devient peu à peu la figure à laquelle s’identifient le plus les militants surtout les plus jeunes. Winnie sait galvaniser les foules. Son pouvoir de séduction, ses talents d’oratrice, ses fortes convictions, l’aura croissant de son mari à mesure que son séjour en prison se prolonge et qui déteint sur elle, sont autant de facteurs qui en font un leader naturel de la cause des noirs et des autres « sous-citoyens » sud-africains. Son engagement lui vaudra toutes sortes de brutalités de la part du régime illégitime.

Celle que ses biographes, les journalistes Stephen Smith et Sabine Cessou, ont surnommé « l’âme noire de l’Afrique du Sud » sera arrêtée, torturée, violée mais ne courbera jamais l’échine. Nelson Mandela, en allant en prison, laissait derrière lui une jeune épouse inquiète, assaillie de doutes face à un avenir incertain. Il retrouvera, à sa sortie, une femme forte, égérie de toute une génération de combattantes et de combattants de la liberté, marchant à ses côtés, autant ovationnée qu’il était porté aux nues par le peuple qui avançait dans leur sillage.

Malgré une image brouillée par un discours radical contre les blancs (un boer, une balle) et contre ceux qu’elle appelle les « traitres noirs » dont elle semble, un temps, justifier le supplice qui consiste à mettre autour de leur cou un pneu enflammé (avec nos boites d’allumettes et nos pneus nous libèrerons ce pays) Winnie reste, pour la majorité de ses concitoyens, la mère de la nation. Même l’affaire Stompie Moketsi du nom de ce garçon de quatorze ans qu’un de ses anciens garde du corps l’a accusée d’avoir ordonné le meurtre, en 1989, parce qu’il se serait livré à des activités d’espionnage pour le compte du gouvernement, n’a pas réussi à entamer durablement sa popularité dans un pays où une majorité de démunis cherche encore le salut.

Encore aujourd’hui, elle assume son refus du compromis, soutenant que l’accord signé par Mandela, en 1994, était mauvais car sur le plan économique les noirs du pays continuent d’être laissés pour compte. Controversée mais d’un courage indubitable, elle reste l’héroïne des townships, ces quartiers pauvres des faubourgs de Johannesburg qui ont payé le prix fort dans cette lutte de libération.

Les femmes dans la lutte contre l’Apartheid
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